Date: Tue, 28 Oct 2003 13:35:42 +0100
From: arnaud.clere@XXX
To: eliane.gagioli@XXX, pierre.clere@XXX, pascal.henry@XXX, paul.campion@XXX, stephane.chevrier@XXX, noel.orfila@XXX
Subject: notre histoire desormais...

Namaste

Les apinautes viennent de quitter KTM et je ferai de meme demain matin. Je 
prends qqs instants pour essayer de repondre aux nombreuses questions que vous 
devez vous poser sur l'accident de Gael, et j'en profite pour vous confier 
notre histoire, bien lourde pour nos epaules.

Etant donne le peu de temps que nous avions a passer au CB, apres avoir ete 
retarde a KTM et lors du trek, nous avons choisi avec Gael et Cat de faire 
d'abord la voie la plus facile du coin : le Raksha Urai III par le versant Est 
puis l'arete Sud, celle imaginee par les autrichiens lors de leurs tentatives. 
Les voies techniques attendraient que nous soyons bien acclimate...
 
Les conditions sur la montagne etaient parfaites : beau temps stable, 
suffisamment de neige pour recouvrir le mauvais rocher qui avait incite les 
anglais a essayer une voie + directe et + dure. La seule inconnue etait notre 
etat de forme puisque nous n'avions pas encore dormi + haut que 2 nuits a 4400.
Nous pensions grimper a 3 sur les voies techniques, mais pour celle-ci, ca ne 
nous posait aucun probleme qu'Ashe vienne et il en avait tres envie. Ca 
representait quand meme une premiere sur un beau sommet et Ashe avait 
visiblement un coeur d'alpiniste !

Le premier jour, le 13, nous avons bien avance, en partie grace a Noresh qu i 
nous a porte la tente et la nourriture jusqu' a 5000 et avons passe une bonne 
nuit a 5100.

Je suis le seul a avoir eu qqs maux de tete qui ont disparu d'eux-meme. Le 
lendemain, c'etait plus laborieux et on etait content de poser la tente a 5800. 
Il n'etait que 15h mais nous n'avancions vraiement pas avec les gros sacs. Ashe 
etait lui bien plus en forme... Au niveau sante, on a tous eu qqs maux de 
tete mais je dois etre le seul a avoir pris un peu d'aspirine pour les faire 
partir. On etait donc tres confiants pour la suite. Si au debut, on voulait 
poser la tente au col a 6200, apres reflexion, il semblait bien plus agreable 
et sur de monter au col avec des petits sacs, les pentes sous le col avoisinant 
les 45. La, premier signe peu encourageant, il n'y avait pas d'endroit tres 
accueillant pour se poser vu que nous etions au pied d'un cirque de goulottes 
et pentes de neige. On etait en train de poser la tente quand une coulee est 
partie des pentes du Raksha II, et nous est passe dessus : aerosol de poudreuse 
+ qqs blocs de neige gelee dont un que j'ai pris sur la tete. Apres avoir 
examine d'autres endroits on a finalement decale la tente de qqs metres et 
construit un muret a l'aval. On a vu aucune autre coulee par la suite.

Le lendemain, depart vers 4h30, 5h. Gael et Ashe etant prets un peu avant sont 
partis ensembles vers la rimaye ou nous les avons rejoint. Elle passait 
facilement en traversee et nous avons attaque les pentes au dessus. G+A faisant 
une trace assez directe, et C+moi des zigzags. Le soleil nous a rejoint juste 
sous le col et le spectacle des ice-flute du Raksha II etait fantastique. Un 
petit passage + raide pour deboucher au col (50 ?) et nous avons fait une 
petite pause pour manger des graines. Je suis reparti avec Cat pour tracer le 
debut de l'arete legerement cornichee, style Bionnassay, jusqu'a une bande de 
rochers. A cet endroit l'arete montait tres peu et nous avons donc progresse 
dans ces rochers pourris un peu a quatre pattes. Ensuite, l'arete redevenue 
neigeuse se redressait jusqu'a 50 et nous avons alterne les deux cordees pour 
faire la trace. Puis l'arete s'est completement couchee et nous avons passe 
plusieurs bosses avant d'aboutir au sommet. Deuxieme signe peu glorieux et un 
peu inquietant. Les corniches etait bien plus larges a cet endroit et 50m avant 
le sommet, en m'approchant trop pres du bord, j'en ai fait peter une grosse et 
me suis retrouve 2m sous l'arete sur l'autre versant avec la corde bien tendue. 
Merci Cat. J'etais sur une petite plateforme en securite mais l'ambiance etait 
un peu trop gazeuse pour y passer ses vacances. J'ai pu remonte tout seul par 
une petite traversee.

Au sommet, a 12h, pas de prbs de sante, Gael etait qd meme un peu amorphe et ne 
s'est vraiment bouge que pour installer les drapeaux a priere avec Ashe pdt que 
nous prenions des photos. Pas de maux de tete. Temps splendide, vues sur le 
Kailash, le Manasarovar, le Gurla Mandata et les sommets splendides de la 
Shalimor Khola : Kapchuli, Jethi Bahurani, Bobaye, Nampa, Api, Yokopahar. 
Encore des photos (panoramique) et a 12h30 nous sommes repartis, Cat+moi en 
premier. Les passages raides de la montee passaient bien en assurage en 
mouvement pour nous, et en regardant derriere, j'ai pu constater que Gael et 
Ashe faisaient de meme, Ashe en dernier, assurant Gael d'une maniere sure, ce 
qui levait les derniers doutes sur ses competences d'alpiniste et augurait 
d'une descente rapide sous le col jusqu'a la tente.

Au niveau des rochers, j'ai perdu un gant (en hommage a Sylvie qui perds tout 
tout le temps ?), et comme il etait possible de le recuperer par une traversee, 
G+A nous sont repasses devant. En le recuperant, je les apercus a la fin des 
rochers, 100 m avant le col sur la neige. Nous avons continue d'avancer dans 
les rochers en un endroit ou on ne voyait pas toute l'arete, mais a un moment, 
je me suis pose la question de savoir ou ils etaient car je m'attendais a les 
voir au col en train de grignoter en nous attendant. J'ai demande a Cat qui 
etait 12m devant et voyait mieux l'arete ou ils etaient mais elle ne les 
voyaient pas. J'ai commence a redouter le pire et scrute le bas des pentes ou 
un point m'intriguait. Quand nous avons tous les deux vus l'arete en entier et 
personne dessus, nous etions force de realiser le drame. J'ai pris l'appareil 
photo et le 105 pour essayer de mieux voir ce point en bas, mais en fait on 
voyait mieux a l'oeil nu, et on voyait tres bien que la neige en amont etait 
souillee. Cette disparition semblait tellement irreelle que nous esperions 
encore, je crois, les revoir a l'abri d'une congere... Et aujourd'hui, il est 
toujours terriblement difficile de ne pas se dire que l'accident n'aurait 
jamais du se produire et que nous devrions etre ensemble en train de boire des 
bieres rigolant de notre belle aventure.

Arrive un peu apres le dernier endroit ou je les avais vus, nous avons trouve 
deux traces dans la neige indiquant qu'ils avaient bel et bien glisse de cet 
endroit vers la Shalimor Khola, a l'oppose de notre voie d'ascension. Les 
traces etaient peu profondes dans cette neige dure mais tres nettes. La pente 
dans laquelle ils avaient bascule etait tres raide, 60 degres, et plus bas, des 
rochers affleuraient et la pente se raidissait encore, nous empechant d'en voir 
la totalite, et notamment la rimaye. Enfin, la pente diminuait avant d'arriver 
a un replat du glacier, quelques 500m plus bas. Dans ces conditions, meme s'il 
nous etait impossible de descendre verifier, nous etions tous les deux 
persuades qu'ils etaient morts sur le coup. Que faire, sinon, veiller sur nous-
meme et redoubler de vigilance ? Apres qqs instants nous sommes repartis en 
direction du col atteint sans difficulte, ce qui rendait d'autant plus penible 
l'idee qu'ils etaient tombe a cet endroit... Pour descendre du col, nous avons 
choisi d'assurer et d'utiliser nos pieux a neige pour faire des relais et 
descendre tour a tour, en reversible. Enfin, pour passer la rimaye, plutot que 
de continuer de la sorte et franchir la rimaye aussi facilement qu'a la montee, 
j'ai voulu faire un rappel. Mauvaise idee car en passant tout droit, je me suis 
retrouve a descendre en fil d'araignee dans la rimaye et il allait falloir 
remonter de l'autre cote. Et ce qui est plus genant, les pieux a neige, que je 
n'ai pas l'habitude d'utiliser, enfonces dans une neige de penitent pleine 
d'air, ont lache. Petite chute de 5m pour atterrir sur le dos et sur la tete au 
fond de la rimaye, heureusement bien bouchee. Un peu secoue mais intact a part 
une douleur dans le dos (mon nerf sciatique se rappelle regulierement a moi 
depuis). D'abord rassurer Cat, qui est donc repassee par le chemin de la montee 
sans corde. Puis recuperer la corde emmelee avec des blocs de glace, puis 
remonter cahin-caha en se disant que decidement on a jamais passe l'age de 
faire des conneries.

Nous sommes donc arrives tard a la tente, 17h, et sommes reste la. Repas leger 
avec les restes et nuit sans sommeil, avec des pensees plein la tete, le dos en 
compote pour moi, et les pieds legerement geles pour Cat. Au matin, j'ai 
vraiment cru a des fantomes em entendant des pas hesitants dans la neige. 
Surement l'imagination.

Le lendemain, le 16, on a pris toutes les affaires et on est descendu ainsi 
jusqu'a 5100 ou on a retrouve de la nourriture. Arrives a la moraine on a 
laisse des affaires a recuperer par la suite permettant de soulager nos epaules 
et mon dos. Au pied de la montagne, on a trouve des pierres dressees a la 
verticale par les bergers tibetains aui viennent ici l'ete et nous en avons 
erige deux autres. C'est seulement en gravant leurs deux noms que je realisais 
pour la premiere fois toute l'horreur de cette histoire, et que je pouvais 
enfin pleurer.

Cette histoire n'est pas celle que nous voulions vous ramener, mais c'est 
maintenant la notre. Nous voulions vivre l'aventure et certainemement pas 
mettre nos vies en jeu. Nous avons vecu tous ensemble des moments merveilleux, 
nous avons eu beucoup de chance en de nombreuses occasions, et nos deboires, 
comme etre bloque 3 jours dans la vallee par les maos, etaient souvent 
l'occasion de vivre un imprevu heureux, une rencontre, un paysage different de 
ce que nous avions prevu. Ce reve etait aussi celui de Gael et Ashe, mais ils 
ne l'auront pas vecu jusqu'au bout et ne pourront pas le raconter. J'espere que 
nous pourrons vous faire toucher du doigt ce qu'ils ont vecu.

Bises.

Arnaud